1. Qu'est-ce que les bancs-reposoirs napoléoniens?
2. Caractéristiques des bancs-reposoirs napoléoniens
3. Est-ce qu’il y en a plus dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin ?
4. Les bancs-reposoirs avant Napoléon
5. Le banc-reposoir de Wiwersheim
6. Quel avenir pour ces témoins du passé en plein air ?
Qu'est-ce que les bancs-reposoirs napoléoniens?
Les bancs-reposoirs napoléoniens sont les bancs qui ont été installés au XIXème siècle sous les deux empires sur le bord des routes en Alsace. On distingue deux séries de bancs-reposoirs napoléoniens par le motif et la période de leurs réalisations. D'abord, les bancs-reposoirs du Roi de Rome (aussi appelés les bancs-reposoirs de Marie-Louise) ont été érigés entre 1811 et 1812, pour fêter la naissance et à l'occasion du baptême de François, Charles, Joseph Bonaparte (1811-1832), fils de Napoléon Ier et de Marie-Louise d’Autriche, qui fut titré roi de Rome à sa naissance. On a recensé 125 bancs-reposoirs du Roi de Rome en janvier 1812 dans le Bas-Rhin.
Plus tard, les bancs-reposoirs dits de l’Impératrice Eugénie ont été créés en 1854, pour le premier anniversaire du mariage de Napoléon III avec Eugénie de Montijo (mariage en 1853). En 1854, 448 bancs-reposoirs de l’impératrice ont été dénombrés dans le Bas-Rhin.
Caractéristiques des bancs-reposoirs napoléoniens
La plupart des bancs-reposoirs napoléoniens sont faits des pierres de taille en grès rouge (rose) et constitués de deux montants verticaux (jambages) et de deux linteaux placés en parallèle, mais il y a aussi ceux qui sont faits en pierre grise (granite?) et qui n'ont qu'un linteau qui fait office de siège.
De nos jours, il est difficile d’imaginer le mode de vie des paysans du XIXème siècle. Ils portaient souvent sur la tête leurs paniers rempli de leurs achats ou produits à vendre aux marchés. Le linteau supérieur situé au niveau de la tête permettait aux paysans et aux voyageurs d'y poser leurs fardeaux.
Le dessin intitulé « Paysans de la campagne de Strasbourg vers 1800 » nous permet d’apercevoir comment les paysans se déplaçaient à pied avec un panier sur leur tête. On y voit aussi une femme qui porte une gerbe de blé (ou de maïs ou tabac) sur sa tête.
On voit parfois une borne à chaque côté d’un banc-reposoir. Il est expliqué que ces bornes permettaient aux hommes d’y déposer leurs hottes et aux cavaliers de se remettre en selle.
Ainsi, les bancs-reposoirs napoléoniens avaient un double but : célébrer les événements napoléoniens et créer des endroits permettant aux paysans et voyageurs de faire une halte.
Ce deuxième but reflète une volonté forte de remédier à la pénibilité de la vie à la campagne. L’origine du projet des bancs-reposoirs du Roi de Rome est Lezay-Marnésia, préfet du Bas-Rhin (1810-1814).
Il est rapporté que ce préfet a demandé aux communes que les bancs-reposoirs soient distancés d'une demie-lieue (environ 2 km) avec la plantation de 4 à 5 arbres pour faire des ombrages et qu’il a souhaité aussi l'installation des fontaines et des abreuvoirs, si possible. C’était donc un projet préfectoral qui encourageait les maires d’y participer. La rareté des bancs-reposoirs du Roi de Rome qui restent jusqu’à aujourd’hui nous ne permet pas de savoir combien de bancs-reposoirs du Roi de Rome étaient garnis d’une fontaine, voire d’un abreuvoir. Par contre, parmi les bancs-reposoirs (de 1811, 1812 et de 1854) qui subsistent, ceux qui se trouvent sous des arbres sont nombreux.
Est-ce qu’il y en a plus dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin ?
Nous avons l’impression qu’il y a plus de bancs-reposoirs napoléoniens dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin. Bien qu’il n’y ait pas d’information sur le nombre de bancs-reposoirs qui ont été érigés dans le Haut-Rhin, un article nous permet de supposer que le nombre de bancs-reposoirs était moins important dès le début dans le Haut-Rhin. Il s’agit de l’article sur les bancs-reposoirs napoléoniens rédigé par un certain Carré de Malberg* et publié en 1938 sur la revue La Vie en Alsace. En plus, je suis presque certaine que cet article est la pièce maîtresse des références bibliographiques de tous les autres articles ultérieurs y compris le mien sur ce sujet.
L’auteur nous rapporte que le projet des bancs-reposoirs du Roi de Rome a été mené dans le Haut-Rhin également par son préfet, mais qu’il a connu moins de succès que celui du Bas-Rhin. Il analyse que l’utilité n’était pas aussi vivement apparente que dans le Bas-Rhin. Cependant, le projet semble avoir été renouvelé sous le Second Empire dans le Haut-Rhin aussi, car plusieurs bancs-reposoirs considérés comme ceux de 1854 demeurent dans le Haut-Rhin. Par exemple, d’après un article de la commune d’Ottmarsheim (68), le banc-reposoir préservé est estimé daté de 1854. C’est un des 5 bancs-reposoirs qui existaient dans la commune.
Quant au Bas-Rhin, on peut consulter le procès-verbal d’une délibération de conseil général du Bas-Rhin rapportant le contexte du projet des bancs-reposoirs de 1854. L’utilité des bancs-reposoirs du Roi de Rome est confirmée et le projet de nouveaux bancs-reposoirs, donc ceux de l’Impératrice Eugénie, a bien été accueilli par les habitants. Ces derniers ont concouru au transport des pierres des carrières jusqu’aux emplacements désignés.
Si Carré de Malberg estime que l’utilité des bancs-reposoirs était moins marquée dans le Haut-Rhin, quelle explication peut-on trouver pour cela? Est-ce qu’il y avait moins de paysans qui portaient leurs fardeaux ? Est-ce que le rapport coût-bénéfice était moins intéressant que dans le Bas-Rhin ? Est-ce que l’augmentation des ouvriers dans l’industrie, en particulier celle de textile, qui a fortement développée dans le Haut-Rhin avait-elle un impact sur les déplacements de la population ?
Un certain Rudolf Wild a fait une liste des bancs-reposoirs napoléoniens sur son site internet. Bravo ! On peut y découvrir que quelques bancs-reposoirs napoléoniens se trouvent en Allemagne ! C’est dans la région de Landau et Monsieur Wild nous rappelle qu’elle faisait partie du département du Bas-Rhin autrefois. A titre complémentaire, Landau était bas-rhinoise de 1790 à 1815 (française de 1648 à 1815).
Carré de Malberg : Il n’a pas écrit son prénom sur son article. Est-il Félix Marie Auguste Victor Carré de Malberg (1866-1949), Premier Président de la Cour d'Appel de Colmar de 1829 à 1836 ?
Les bancs-reposoirs avant Napoléon
Dans son article, Carré de Malberg nous apprend aussi qu’il existait des ancêtres des bancs-reposoirs napoléoniens et montre quelques photos. Ainsi, on peut comprendre qu’il existait déjà des bancs en pierre en Alsace au plus tard au XVIIIème siècle, soit 100 ans avant les bancs du Roi de Rome.
Ce qui est particulièrement impressionnant, c’est qu’on peut en identifier un à Molsheim (67) grâce au détail et la photo fournis par l’auteur ! Il semble que ce banc en pierre très ancien est utilisé aujourd’hui comme un support de bacs à fleurs. En hiver, je l’ai vu avec des tuyaux (d’arrosage, surement).
Le banc-reposoir de Wiwersheim
Parmi les bancs-reposoirs que j’ai vus jusqu’à présent, celui qui m’a intriguée énormément est celui de Wiwersheim. D’après le site internet de la commune, c’est un banc-reposoir du Roi de Rome qui a été déplacé plusieurs fois. Aujourd’hui il est à côté de la mairie.
Il me semble que les colonnes carrées ont été refaites, vu que l’état de la pierre de taille est assez différent de celui du banc en demi-cercle, mais je n’ai pas trouvé d’information. Ce qui est très intéressant, ce sont les inscriptions gravées sur ces colonnes, même si elles ne sont lisibles que partiellement.
La colonne droite, la face avant : deux mots sont gravés et je me demande si elles pourraient se lire « Schnersheim » et « Truchtersheim », noms des deux villages voisins.
La présence des inscriptions de la face latérale gauche et de la face arrière de cette colonne est à peine décelable.
La colonne droite, la face latérale droite : on peut lire du haut en bas, « BDF », « 1907 » (ou 1909), « 1841 » (ou 1860 ou peut-être il ne s’agit pas de date, car il y a encore une lettre sui semble être B après un petit espace), « I » (ou 1), « TR » (ou TB), « H », « M… » et « 1916 ».
La colonne gauche, la face avant : il semble qu’il y a deux mots de même style d’écriture que ceux de mots gravés sur la face avant de la colonne droite, mais ils sont illisibles. Par contre, on y voit une inscription « AG » dont le style d’écriture est différent.
La colonne gauche, la face latérale gauche, on peut lire du haut en bas, « BDF (un espace) I », « CMDM », « 1878 » (ou 1848 ou encore 1873… ), ensuite, peut-être deux mots illisibles, puis « ID 5 » (ou IDS), enfin « 1884 » (ou 1874).
La présence des inscriptions de la face latérale droite et de la face arrière de cette colonne est à peine repérable.
En somme, les inscriptions partiellement lisibles sont gravées sur la face avant et de la face latérale extérieure de chaque colonne.
Un des pieds du banc est gravé, c’est comme un signe lapidaire. En plus, sur la face du banc située au-dessus de ce pied, il y a quelque chose qui semble être une inscription.
La lisibilité des inscriptions gravées sur les pierres change en fonction de l’orientation du soleil et de la luminosité. La réitération d’observation dans différentes conditions météorologiques pourrait nous permettre une nouvelle lecture.
Quel avenir pour ces témoins du passé en plein air ?
Le style des bancs-reposoirs de l’Impératrice Eugénie est assez homogène, on peut penser que les communes ont privilégier la simplicité qui allait avec l’utilité. Ceux qui subsistent sont souvent reconnaissables par leur forme, mais aussi par la date gravée : 1854.
Parmi les bancs-reposoirs napoléoniens qui demeurent, plusieurs ont été déplacés à un endroit plus fréquenté et souvent valorisés. D’autres sont difficilement visibles en raison de leur emplacement (au bord d’un rond-point, d’une route où on ne peut pas arrêter la voiture…). Le linteau inférieur servant au siège de certains bancs-reposoirs est à peine plus élevé que le niveau de sol.
La commune de Stutzheim-Offenheim a fait une démarche originale pour transmettre le patrimoine et des éléments d’histoire. S’il n’y avait pas de banc-reposoir ou s’il n’y en a plus, on crée un. Stutzheim-Offenheim a fait réaliser une copie de banc-reposoir de l’Impératrice Eugénie. De surcroît une sculpture représentant une Alsacienne y est assise !
Le site de la commune fournit des informations sur cette réalisation. La sculpture baptisée « La jeune fille alsacienne au parapluie » a été réalisée en 2013 par un artiste renommé, Thierry DELORME. Quant au banc, les blocs de grès rose bigarré des Vosges ont été taillés par le CFA du Lycée Jules Vernes à Saverne.
Ce banc-reposoir du XXIème siècle n’a donc pas de lien avec Napoléon, mais avec un auteur et acteur alsacien du XXème siècle, Germain MULLER (1923-1994) et il est installé sur la place Germain MULLER. La sculpture est à l’hommage à son célèbre cabaret « le Barabli » (mot alsacien qui signifie parapluie).
Les états des bancs-reposoirs napoléoniens qu’on voit aujourd’hui sont différents les uns des autres. Certains risquent d’être fragilisés fortement au fil du temps. Que peut-on faire pour qu’ils continuent à être des témoins du passé en plein air ?
Références :
Carré de MALBERG, Les bancs du roi de Rome, La Vie en Alsace, janvier 1938, p166-168.
Banc reposoir napoléonien, Ottmarsheim [En ligne]. [consulté le 24.04.2024]. Disponible sur :
https://www.ottmarsheim.fr/images/5-Culture/BANC_REPOSOIR_NAPOL%C3%89ONIEN.pdf
Banc public M, POP : la plateforme ouverte du patrimoine [En ligne]. [consulté le 24.04.2024]. Disponible sur :
https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA68006918
Les industries textiles en Alsace vers 1840, Atlas Historique d’Alsace [En ligne]. [consulté le 24.04.2024]. Disponible sur :
Liste des Bancs-reposoirs d'Alsace [En ligne]. [consulté le 24.04.2024]. Disponible sur :
https://wild-annweiler.hier-im-netz.de/napoleon/ruh_alsac.htm